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Sommaire

Numéro 106 juillet 2010

Mélanges

Un certain temps s'est écoulé entre la livraison du numéro 105 et la parution de celui-ci, le numéro 106. Dans son éditorial, dans le dernier numéro, Anne Querrien annonçait son départ de la rédaction de la revue afin de se consacrer entièrement, avant de prendre sa retraite, aux affaires européennes pour le compte du ministère de l'Écologie et assurer, en tant que représentante française, la responsabilité du réseau Urban-Net. Depuis j'ai pris sa succession. Mission ô combien difficile. En effet c'est Anne qui, depuis presque leur création, a porté les Annales de la recherche urbaine, leur a insufflé son énergie et n'a épargné ni sa peine ni son temps pour faire exister cette revue et lui donner le renom qu'elle connaît aujourd'hui. C'est Anne, accompagnée de Pierre Lassave, qui grâce à sa connaissance du milieu de la recherche et l'acuité de son regard sur les problèmes urbains a fait vivre la revue, lui a assuré son rayonnement. C'est Anne et Pierre qui ont pensé des numéros dont bien souvent les thématiques étaient en avance sur les préoccupations du moment. Ces thèmes ont démontré leur pertinence puisque la communauté scientifique et/ou les acteurs des politiques publiques s'en sont par la suite emparés. Nous leur devons donc des numéros précurseurs et dont les problématiques restent très souvent d'actualité, même des années après leur parution. Pour toutes ces raisons je crois que la communauté scientifique dans son ensemble et les acteurs de l'urbain peuvent remercier Anne d'avoir su faire vivre une publication si riche. Prendre la suite d'un tel héritage représente un véritable défi , j'espère pouvoir être à la hauteur de la mission. Ce numéro, numéro de transition, est non thématique et les articles qui le composent sont présentés ci-dessous. C'est au début des années soixante que le terme gentrification fait son apparition pour décrire le processus d'embourgeoisement connu par certains quartiers populaires londoniens. Aujourd'hui de nombreux centres d'agglomérations connaissent le même phénomène. Ainsi, Belleville, quartier du nord-est parisien, a vu depuis une vingtaine d'années sa population changer, nombre d'artistes s'y sont installés. Ces derniers impriment leur empreinte au quartier en transformant des boutiques en logement, des usines en loft et induisent alors des pratiques et une appropriation différentes de l'espace. Si la mixité tant sociale qu'ethnique du quartier est valorisée et revendiquée par ces populations et les jeunes cadres aisés qui les ont rejointes elle n'est que de côtoiement. Les catégories populaires au capital économique et culturel moindre se trouvent dessaisies des espaces qui constituaient jusqu'alors leur vie quotidienne, ils ne s'y reconnaissent plus, c'est ce que les entretiens menés par Sophie Gravereau révèlent. Dans le second article Sophie Némoz expose une partie de son travail de thèse sur l'habitat écologique. Développés et portés jusqu'à très récemment par une fraction très minoritaire de la population, utopistes ou dissidents, le discours et les pratiques de l'habitat écologique sont aujourd'hui le fait des agents de l'État. Bien que cet habitat ne représente en France au début du XXIe siècle qu'une infime partie – 1 % – des logements français, cela n'a pas empêché le discours sur l'écologie résidentielle de se diffuser. C'est que, pensé dans une perspective d'équité et de solidarité intergénérationnelle, prenant en compte les exigences environnementales de préservation des écosystèmes, il participe de l'idéologie du développement durable. Une part significative des habitants de Delhi en Inde vit dans des quartiers informels dont l'accès aux services publics urbains constitue un des problèmes majeurs. Ces quartiers ont fait l'objet, selon les décennies, de politiques de réhabilitation ou de résorption plus ou moins radicales. Mais toujours, lorsque les populations sont relogées, elles le sont loin de leurs quartiers d'origine ce qui les conduit fréquemment à s'installer à nouveau dans de l'habitat illégal, à rejoindre les quartiers dont on les avait délogées. Mais, au-delà du coût que le déménagement représente pour les ménages (perte de la source de revenus, déscolarisation des enfants,…) Pierre-Noël Giraud et Augustin Maria proposent, afin de redéfinir les politiques urbaines en matière de résorption de l'habitat insalubre et de régularisation de l'habitat irrégulier, de poser la question du rôle des habitants de ces quartiers informels dans l'économie de la ville et ainsi de la pertinence de les rejeter en permanence en périphérie. Geneviève Zoïa et Laurent Visier s'intéressent à la mixité sociale des collèges de l'agglomération Montpelliéraine. Dans les collèges des zones les plus défavorisées aucune mixité n'est observée, au contraire on constate une grande homogénéité des catégories sociales les plus basses. Une mixité très faible est également observée dans les collèges publics situés dans le périurbain et les collèges privés du centre-ville. En revanche les collèges publics de centre-ville ont des élèves issus de toutes les catégories sociales. Ainsi les auteurs établissent trois lignes de partage. La première entre les établissements publics de centre ville et ceux des quartiers défavorisés ; la deuxième entre les collèges de centre-ville, relevant du secteur public et ceux relevant du secteur privé ; la troisième distinction peut être établie entre établissements publics du centre ville et établissements du périurbain. Contrairement à ce que connaît la région parisienne ce ne sont pas, dans cette agglomération de 500 000 habitants, les établissements du centre qui recrutent parmi les catégories les plus favorisées mais ceux du périurbain. C'est à partir des projets d'aménagement de la vallée du Bou Regreg et de la corniche de Rabat qu'Hicham Mouloudi analyse le processus qui a contraint les autorités à prendre en compte les avis de la société civile. Il nous montre comment ces projets sont le fruit de négociation et de compromis ; comment se constitue un collectif qui fait fi des divergences de ses composantes pour opposer un front commun ; comment des collectifs s'imposent comme contre-expert ; comment un nouveau mode de gouvernance se constitue. Réinvestir les friches industrialo-portuaires, vastes espaces proches du centre, et renouveler l'image de la ville telle est l'ambition du projet Neptune à Dunkerque. À partir de l'analyse des discours des acteurs de l'opération (élus, aménageurs,…) Camille Tiano en décrit le processus. Plus que le périmètre et les réalisations effectives c'est la méthode employée que les acteurs s'emploient à décrire. De la même façon, dans la seconde phase du projet intitulé Grand large, dont l'objectif est de réaliser un quartier résidentiel attractif répondant à tous les principes du développement durable, c'est plus la méthode de l'opération, c'est-à-dire la manière de concevoir, de gérer de construire que le contenu qui prime. Autrement dit ce ne sont pas tant les caractéristiques du territoire et les réalisations qui comptent que les modalités de l'action. À Montréal, au moment de la programmation de projets résidentiels relativement importants, des négociations informelles s'engagent entre le promoteur et les différents acteurs locaux. Les tables de quartier, constituées par l'ensemble des réseaux associatifs ainsi que les organismes publics pour porter les intérêts des habitants d'un quartier, en deviennent les interlocuteurs privilégiés. Lors d'opérations de regénération urbaine l'un des enjeux, pour elles, est de réussir à endiguer, dans la mesure du possible, le phénomène de gentrification et de répondre à la demande d'habitat social exprimée. Dans les deux cas étudiés par Gilles Sénécal, Geneviève Cloutier, Léa Méthé Myrand et Amélie Dubé le processus de concertation a été fructueux. L'acceptation par les acteurs sociaux de certaines contingences des promoteurs ont permis à ces derniers de modifier leur projet en y intégrant une plus grande préoccupation pour le logement social. Arc Express, dessiné dans le Schéma directeur de la Région Ile-de-France, premier métro intégralement en banlieue pour reprendre les termes employés dans son article par Jean-Louis Zentelin, résulte du croisement de deux logiques l'une, liée aux principes édictés par le développement durable qui, dans un souci d'endiguement de l'étalement urbain, s'attache à favoriser le renforcement des densités centrales, l'autre qui s'attache à rendre fluide le marché de l'emploi à l'échelle régionale. Le choix de cette rocade Arc Express, de nature urbaine, la cible en étant les populations de petite couronne et de Paris, a ajourné la rocade ferroviaire Lutèce, de nature régionale, car destinée aux populations des grande et petite couronnes. L'auteur analyse les théories, les idéologies qui motivent cette décision. À ce tracé se surimpose celui prôné par le secrétariat à la région capitale, le Grand huit, métro souterrain en rocade. Il s'agit là de privilégier le développement et la liaison des pôles économiques. Cinq articles ont comme thème le sport et constituent, de fait dans ce numéro Mélanges un mini-dossier. Florian Lebreton s'intéresse aux sports alternatifs que sont le street golf, le parkour, le base-jump urbain, l'escalade urbaine, la spéléologie urbaine. Ces sports ne font pas que se dérouler dans la ville ils sont de la ville en tant que le mobilier urbain, l'architecture, l'agencement des édifices sont le support de leur déploiement. Ces pratiques sportives sont révélatrices d'un certain style de vie. Ces sportifs s'approprient l'espace, lui donnent une signification – la leur –, commune et identificatoire pour l'ensemble de leur communauté. Pour leur part, Julien Laurent et Christophe Gibout s'intéressent plus particulièrement aux skaters. La ville est leur théâtre, ils se mettent en scène, le mobilier urbain étant leur décor. Le skate, pratiqué dans les années quatre vingt-dix, essentiellement dans les villes nord-américaines, New York, Los Angeles, San Francisco sont les villes références, les villes mythiques des skaters. Leurs spots et les exploits qu'ils permettent font partie des récits véhiculés par leurs adeptes. Ces lieux sont remplacés au début des années 2000 par les villes européennes et Barcelone en devient l'icône. Puis d'autres grandes villes se sont imposées Paris, Londres… C'est à un mode de vie nomade, tourné vers l'ailleurs, et résolument urbain qu'incite la pratique de ce sport. Clément Rivière développe, s'inspirant du concept de boulevardisation proposé par M. Pinson et M. Pinson- Charlot, le concept de stadisation. Ce concept décrit le processus de structuration, de plus en plus prégnant, de la vie et des espaces d'un quartier à l'origine résidentiel par les institutions sportives. Le quartier étudié celui du Parc des princes connaît par son caractère sportif affirmé et par la présence de stades de multiples désagréments, nuisances sonores, envahissement de l'espace urbain par les spectateurs les jours d'événement sportif ou de concert, problème de stationnement pour les résidents. Cependant ces derniers peinent à faire entendre leur volonté. En effet, leurs intérêts se heurtent aux puissantes forces économiques en présence. Les pouvoirs publics érigent le sport comme outil de prévention sociale et moyen d'intégration à la vie de la cité pour les habitants des quartiers en difficulté notamment. Toutefois, les dispositifs publics sont structurés autour de l'organisation de compétitions sportives et de l'appartenance à un club. Or, la majorité des résidents souhaite certes pratiquer un sport, mais dans des groupes informels, auto-organisés. C'est ainsi que se déploient des sports collectifs dits de pied d'immeubles (football, basket) ne nécessitant pas d'équipements lourds et donnant naissance à une sociabilité auto-régulée, c'est ce que décrit Gilles Vieille Marchiset. Stéphane Merle analyse la réponse apportée par les pouvoirs publics stéphanois à la généralisation de pratiques sportives non traditionnelles comme les sports de glisse ou les pratiques de pied d'immeuble auto-organisées. Jugés pratiques éphémères et phénomènes de mode, l'accompagnement de ces sports a été tout relatif. Des solutions classiques l'aménagement d'un roller skate-parc par exemple, ou encore les lieux dévolus à la pratique rejetés en périphérie attestent de la non prise en compte dans ces propositions des espaces pratiqués et des pratiquants. Olivier Chadoin questionne la notion d'ambiance mobilisée tant par le monde académique que par les acteurs de l'urbain. Cette notion est à l'origine de production de méthodes, de modèles, de mesures qui lui donne un apport technico-scientifique. Toutefois l'on peut se demander comment est-il possible de doter les ambiances d'un appareillage de mesures alors que son assise conceptuelle n'est pas établie ? C'est ce qui explique que le débat autour des outils devient prépondérant au détriment de la discussion, qui pourtant s'avérerait nécessaire, sur ce qui est mesuré. Le statut de l'escalier mécanique le long de la paroi du centre Georges Pompidou à Paris amène Stéphane Vial à s'interroger sur le lien et les frontières existant entre l'intérieur et l'extérieur d'un bâtiment. Sont-ce les mêmes rapports entre intérieur et extérieur qui vont régir la production des bâtiments de demain ? La réhabilitation du bâtiment algérois des anciennes galeries et sa transformation en musée d'art moderne a répondu a une double contrainte : la première liée à la conservation du patrimoine et à la restauration d'un monument très dégradé. La seconde à la mise en conformité de l'édifice aux normes anti-sismiques. En effet, le pays ayant déjà connu, à plusieurs reprises, des tremblements de terre, une politique de réduction de la vulnérabilité à ce risque a été adoptée. L'opération menée dans ce bâtiment a constitué une occasion unique de diagnostic sismique, de propositions parasismiques, de confortement et de défi technologique. C'est ce laboratoire que Stéphane Cartier et Khamza el Assad étudient. Jonathan Humez et Emmanuel Martinais nous montrent que les nuisances n'existent pas en tant que telles mais qu'elles sont construites, notamment en fonction des espaces de vie de chacun. C'est ainsi que les personnes qu'ils ont interrogées, bien qu'ayant leur maison dans un lotissement proche des usines chimiques de Feyzin, ne mentionnent pas, lorsqu'ils parlent de nuisance, les raffineries et leurs fumées, le bruit liés aux passages des trains. En revanche ce sont les problèmes de voisinage, le bruit lié aux comportements de certains jeunes du quartier notamment, qui sont évoqués. Marie-Flore Mattei