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Antoine Haumont

est géographe. Il enseigne à l’Université Paris VII et à l’École Nationale des Ponts et Chaussées. Il a contribué
à « Sociologie du sport » (Thomas, Haumont, Levet, Paris, PUF, 1987) et à « Sport, relations sociales et action collective »
(Bordeaux, MSHA, 1995). Il coordonne des recherches sur les activités et les services culturels, au Centre de Recherche sur l’Habitat, LAVUE-UMR CNRS, 7218.

  

Note parue dans le Numéro 110 écrite par Antoine Haumont
JEAN-PIERRE AUGUSTIN ET JEAN DUMAS, La ville kaléidoscopique, 50 ans de géographie urbaine francophone, préface d’Antoine Baily, 249 p. Economie-Anthropos, Paris 2015

Jean-Pierre Augustin et Jean Dumas, deux géographes de Bordeaux, ont entrepris d'analyser un moment d'une cinquantaine d'années, depuis 1960 environ, pendant lequel les recherches et les actions sur l'urbanisation sont devenues des thèmes majeurs dans la géographie francophone. Des changements divers interviennent en même temps dans les villes et dans l'observation, autorisant la métaphore originale de « la ville kaléidoscopique », où les formes diversifiées de l'urbain et de la variété des regards sont assemblées dans un jeu de miroirs, d'échanges et de révélations. L'association entre les éléments de l'urbain et les regards sur la ville, est un des thèmes majeurs du livre de J.-P. Augustin et J. Dumas, qui en font d'abord l'histoire. Le regard sur la ville est initialement modeste car longtemps, en France, le travail des géographes a placé les villes dans des références régionales, sans négliger leur rôle et leur importance mais sans mener des analyses spécifiques de l'urbain (par exemple, après 1870 dans les ouvrages d'Elisée Reclus, de Vidal de la Blache après 1890 ou d'Emmanuel de Martonne après 1900). Quelques monographies font exception, comme celles que réalise Raoul Blanchard sur Grenoble (en 1911) et sur Annecy (en 1916), puis sur Québec (1935) et Montréal (1947), mais la description des villes dans l'inventaire régional est un thème persistant comme l'attestent des travaux de thèses réalisés jusqu'après 1960. Dans l'histoire des regards des géographes sur la ville, il faut aussi tenir compte, notent J.-P. Augustin et J. Dumas, de l'importance des références qui viennent de diverses sciences de la société : l'histoire, l'économie, la sociologie. Certaines de ces références contribuent à ce que les regards sur la ville créent surtout des enjeux pour la société : dans l'économie spatiale et la géographie volontaire, dans la lecture sociologique de l'espace quotidien, dans une science de l'urbain (l'urbanisme) qui intéresse les politiques publiques (le Plan, la Datar). Il convient aussi de relever que l'importance des références au régionalisme ou à diverses sciences sociales n'empêche pas l'apparition de nouveaux regards ou la revalorisation de regards anciens. L'attention se porte en particulier sur plusieurs structures spécifiques des villes et des interactions dans l'urbanité : les échanges entre les activités économiques et sociales, les réseaux qui relient les villes entre elles, les extensions qui étendent, fragmentent et compartimentent les formes des espaces. Finalement, les transformations qui surviennent dans les villes, les héritages des regards anciens et les nouvelles visions de l'urbanité vont élargir et approfondir la géographie urbaine qui est dans la séquence contemporaine marquée par l'élargissement des approches. Plusieurs dynamiques générales contribuent à cet élargissement. On note la diffusion de modèles relativement théoriques, souvent élaborés en Allemagne (sur la hiérarchie urbaine, par Von Thünen, Christaller, Losch) ou aux États-Unis (sur les structures internes des villes, par Burgess, Hoyt, Harris et Ulman). On relève les références à de grands courants de pensée de l'époque qui offrent des vues sur la société (la sociologie urbaine inspirée du marxisme, les divers travaux qui se réclamant du structuralisme, largement diffusés en France et aux États-Unis). On retient aussi l'importance et la nouveauté relative des recherches géographiques sémiologiques sur les représentations des villes et aussi sur les mécanismes de communication portés par les rituels quotidiens et leur mise en scène, (étudiés notamment par le canadien Goffman) et par la numérisation de la société (la « smart-city », la « cybercité »). Ces nouvelles approches sont prises en compte par des chercheurs français surtout après 1970 et la ville devient un objet de travail détaché de ses attaches régionales (comme l'indique un tableau de trente-trois thèses soutenues entre 1964 et 1997). Ces nouvelles approches aident aussi à une analyse des moments successifs de l'urbain. L'histoire est mise en perspective pour bien sentir ce qu'a été la ville traditionnelle et ce qu'il en reste, et aussi la ville fonctionnelle du 20e siècle. Plus près de nous, la ville lue comme projet urbain (depuis 1960) s'ouvre à la diversité des sites et des mises en œuvre. Plus près de nous encore, le rapport Brundtland (1987) donne le départ à une dynamique de la ville durable qui veut assurer l'égalité sociale, la préservation de l'environnement et l'efficacité économique. L'élargissement de l'approche est d'ailleurs complété par un regard sur l'ouverture des décideurs et des décisions dans la ville contemporaine où la politique urbaine laisse beaucoup de place à la gouvernance et à ses initiatives multiples. Cette histoire de l'urbanité et de ses quatre grands moments intéresse car elle est éclairée par de nombreuses citations et références qui permettront au lecteur d'identifier les doctrines, les réalisations et les hommes qui les ont créés. L'attention donnée aux interférences est utile pour situer les cinquante dernières années comme le moment de la ville « kaléidoscopique ». Après avoir dressé un état de la séquence contemporaine qui organise les divers thèmes de la géographie française depuis les années 1960, J.-P. Augustin et J. Dumas consacrent la dernière partie de leur livre (les chapitres 7,8 et la conclusion) à une intéressante présentation des acteurs qui construisent cette séquence. Cette présentation commence par la relation des parcours qu'ont suivis J.-P. Augustin et J. Dumas comme des acteurs typiques des recherches et des actions menées par les géographes depuis une cinquantaine d'années. J. Dumas, qui commence à publier en 1980, s'attache à la géographie économique et à la gouvernance des villes, en approfondissant la géographie dans le contexte bordelais et la politique publique locale mais aussi comme une contribution à des inventaires (Plan, Datar). J.-P. Augustin vient un peu plus tôt et commence à publier en 1978 sur la géographie sociale et culturelle de Bordeaux, notamment sur la jeunesse urbaine. Il a poursuivi par des recherches sur les quartiers et par l'étude des institutions culturelles et de la diversité des liens et des engagements dans la ville « kaléidoscopique ». Sans oublier ses travaux qui portent sur le Canada et les regards portés sur le Québec. Les ressemblances et les différences entre J.-P. Augustin et J. Dumas sont d'ailleurs une introduction vivante à un tableau général de la géographie urbaine francophone contemporaine, riche en particularités mais structurée par des points communs. Notamment dans des approches qui évitent les vues radicales sur le passé et sur les sociétés, qui adaptent divers outils à l'approche spatiale et qui dépassent l'opposition entre les monographies et les modèles généraux. Plusieurs contributions importantes viennent du vivier des thèses d'État. D'abord lorsque la tradition des études régionales accepte de donner un rôle plus autonome aux villes (par exemple dans les travaux de Kayser, Rochefort, Dugrand, Babonaux dans les années cinquante, soixante). Puis dans les travaux menés hors de France par des géographes français (à Milan, Athènes, Barcelone, en Afrique). Et, d'une manière générale, par le rôle des thèses dans la constitution d'équipes et de filières dans les villes universitaires en France et dans les périphéries francophones. Ces pôles ont leur dimension universitaire (Institut de géographie, Institut d'Urbanisme) mais aussi des liens avec des instituts de recherche (comme le CNRS) ou d'incitation à la recherche et à l'expérimentation (comme le PUCA). Des publications variées accompagnent le mouvement et permettent de juger du sens à donner à l'élargissement urbain et aux contributions à l'urbanisation contemporaine (la troisième ville de Mangin, les indicateurs d'urbanité de Lussault). On peut aussi juger de la place occupée par les valeurs de l'humanisme et de l'interactivité sur lequel se construit la ville kaléidoscopique. Antoine Haumont, Centre de Recherche sur l'Habitat, LAVUE-UMR CNRS, 7218.