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William Le Goff

A soutenu sa thèse en géographie urbaine en 2006. Il a été successivement allocataire-moniteur, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche, chargé de mission à la Délégation interministérielle à la ville, secrétaire général du Comité d’évaluation et de suivi de l’Anru. Il est actuellement responsable du service logement de la ville de Montreuil. Il a notamment publié sur les politiques britanniques du logement, les services publics, la rénovation urbaine, la politique de la ville à travers articles et ouvrages.

  

Note parue dans le Numéro 106 écrite par William Le Goff
Thomas Kirszbaum - Rénovation urbaine, les leçons américaines

THOMAS KIRSZBAUM Rénovation urbaine, les leçons américaines Puf, Collection la Ville en débat, 2008, 96 pages. À lire l'introduction de l'ouvrage Rénovation urbaine, les leçons américaines, l'opposition entre le ghetto noir et les banlieues blanches serait fi nie selon Thomas Kirzsbaum. Pour l'auteur, les États-Unis, depuis quarante ans, ont mené les politiques de déségrégation les plus radicales pour « en fi - nir avec le ghetto noir qu'ils avaient mis tant d'énergie à consolider » (page 4). À l'heure où la France entreprend depuis 2004 un Programme national de rénovation urbaine (PNRU) qui bénéficie aux quartiers relégués et dont le montant total des travaux s'élève à 42 milliards d'euros sur une période de dix ans, le détour par l'expérience américaine permet de questionner les stratégies ainsi que les effets de la rénovation urbaine en quartiers populaires. Ce court ouvrage de 96 pages propose ainsi d'examiner l'ambivalence des stratégies de dispersion de la pauvreté puis celles relevant de « l'enrichissement sans déménagement » et enfin celles correspondant à « l'attraction des classes moyennes ». L'intérêt de ce court ouvrage est de présenter la rénovation urbaine américaine et son histoire à un large public français qui en ignore bien souvent l'existence, présentation qui se fait à l'aune de la rénovation urbaine française dont l'action - et les effets à venir ? - révèlent de troublantes similitudes. L'Urban Renewal, entre stratégies de dispersion de la pauvreté et politiques de développement communautaire L'auteur commence ainsi son essai par un exposé malheureusement confus sur la politique urbaine américaine des années 1950 (pages 7 à 10), à savoir l'urban renewal dont le sobriquet de negro removal renvoie clairement aux effets de la loi sur le logement de 1949 : la dispersion des minorités de couleur dans l'ensemble de la ville s'est effectuée au nom de la lutte contre l'habitat insalubre. Cependant, la construction de 810 000 logements sociaux, en plein coeur des ghettos noirs, censés accueillir les ménages à reloger, a accentué la ségrégation des minorités noires. Afin de combattre les effets néfastes de l'Urban Renewal des années 1950-60, le Fair Housing Act de 1968, voté juste après l'assassinat de Martin Luther King, visait à encourager le fi nancement par le Department of Housing and Urban Development (Hud) de logements destinés aux minorités en dehors des espaces de « concentration ethnique ». L'administration Nixon mettra fin au financement de ces logements bâtis dans les espaces suburbains. En revanche, la mobilité individuelle des minorités est devenue par la suite la nouvelle priorité du Gouvernement fédéral et des gouvernements locaux comme en témoigne l'emblématique programme Gautreaux mis en oeuvre dans l'agglomération de Chicago1. Cette expérimentation de la déconcentration de la pauvreté et des noirs a été généralisée par l'administration Clinton dans le programme Moving To Opportunity2. Les politiques d'« enrichissement sans déménagement », autrement appelées de « développement communautaire » préconisent un traitement global - on dirait aussi « intégré » - des quartiers en difficulté. Il s'agit de traiter à la fois le bâti et la promotion des habitants en concevant et en décidant des politiques à partir des souhaits des habitants (procédures bottom-up). Les ressources des habitants et de leur quartier sont utilisées pour aboutir au contrôle communautaire du quartier. Dans ce contexte, le financement public et privé en matière de construction et de gestion de logements est pris en charge par les fameuses Community Development Corporations (CDC). Mais quels sont les effets des politiques de dispersion de la pauvreté et de développement communautaire ? L'effet pervers de la dispersion réside dans la déstabilisation des quartiers en (ex)fi ltrant les populations les plus dynamiques du quartier. Par ailleurs, les évaluateurs du programme Gautreaux constatent « les effets bénéfiques du déménagement, tout en soulignant l'absence d'impact sur l'emploi et les revenus et en restant très prudents quant à l'extrapolation des résultats observés » (page 26). Le développement communautaire, quant à lui, n'agit pas sur les logiques de la ségrégation à l'échelle des agglomérations. Nous regretterons que la première partie de l'ouvrage qui compte vingt et une pages soit si difficile à lire : l'absence de chronologie clairement établie, des sous-titres peu explicites pour le profane (« autoségrégation ou disrimination ? »), des termes mal définis concourent à rendre l'ensemble relativement confus. Hope VI, la rénovation urbaine américaine La seconde partie de l'ouvrage, de loin la plus intéressante, présente au lecteur français le programme Housing Opportunities for People Everywhere (Hope VI)3, présenté comme une synthèse des avantages respectifs des stratégies de mobilité résidentielle et de développement communautaire qui doit aboutir à la mixité sociale des quartiers. L'innovation la plus spectaculaire d'Hope VI est de faciliter la démolition de logements sociaux4. En contrepartie, la production de logements privés dans les sites concernés par Hope VI visait à banaliser ces quartiers. Cette volonté de produire de la mixité socio-économique dans les quartiers déshérités pour normaliser les comportements de leurs habitants est adossé au New Urbanism qui met en avant une forme de déterminisme physique des comportements sociaux5. Notons aussi une autre similarité avec le PNRU français : à chaque logement social démoli, un autre devait être reconstruit. Cette règle n'a pas été respectée aux États-Unis et a rendu plus difficile encore le logement de populations fragiles6. Les appréciations d'Hope VI sont très variées, en fonction des sites mais aussi parce que les données exhaustives sur le programme n'existent pas. Si Hope VI participe à la déconcentration de la pauvreté, les effets sur les revenus et l'emploi des ménages concernés sont nuls. La troisième partie de l'ouvrage est consacrée à la démarche dite « holistique » de la rénovation urbaine et à la participation des habitants dans le projet de rénovation, deux dimensions prises au sérieux aux États-Unis même si le décalage entre la rhétorique officielle et les pratiques locales demeure important. Mélanges Notes de lecture 187 Un livre qui appelle à de vifs débats techniques, scientifiques et politiques L'intérêt de cet ouvrage est de présenter et d'analyser, en quelques pages, les similitudes de la rénovation urbaine américaine et française en termes d'actions (principe dit du « 1 pour 1 », c'est-à-dire une reconstruction pour chaque démolition de logement social, le pari de l'attraction des couches moyennes en proposant des produits logement variés, le pari sur la revalorisation du foncier, celui sur la normalisation par l'arrivée des couches moyennes etc.) et en termes d'effets (rétrécissement de la taille du parc public, difficultés à loger les « publics difficiles », peu d'effets sur les revenus et l'accès à l'emploi des ménages concernés par la rénovation urbaine mais un intérêt réel quoique limité du simple déménagement pour certaines familles). La conclusion, intitulée « Ce que nous apprennent les États-Unis », a le mérite de poser clairement les termes d'un nécessaire débat mais les partis-pris de l'auteur sont néanmoins sujets à vive discussion. En effet, l'auteur affirme la pertinence scientifique de qualifier de « ghetto » les « quartiers » de nos grandes villes car l'usage du terme permet de ne pas « occulter la dimension proprement ethno-raciale de la ségrégation » (page 74). À ce propos, nous remarquerons aussi l'usage constant, et sans guillemets, du terme « racial », ce qui laisse le lecteur perplexe. Dans le meilleur des cas, si l'adjectif est effectivement utilisé comme tel aux États-Unis, transcrire n'est pas traduire. Sur la forme, la lecture de l'ouvrage souffre de l'absence d'une bibliographie placée en fi n d'ouvrage, d'encadrés qui précisent la chronologie ou le contenu de certaines lois, ce qui rendrait plus aisée la lecture d'un ouvrage dense. Quelques exemples de sites de la rénovation urbaine américaine sont cités au cours du livre, il manque néanmoins une typologie des sites de la rénovation urbaine. En revanche, l'auteur souligne justement « les vertus de l'engagement civique contre le regard souvent misérabiliste souvent jeté sur les quartiers (de) pauvres où dominerait l'apathie » (page 76), vertus sollicitées par un traitement holistique de la pauvreté urbaine. Néanmoins, cette remarque demanderait aussi à être nuancée en appelant des travaux qui portent sur l'empowerment7 et dont les conclusions sont quelque peu différentes. William Le Goff 1. Alors que la construction de logements sociaux dans les quartiers à majorité blanche affrontait l'hostilité des « communes d'accueil », 7 000 familles volontaires habitant un logement social se sont vu proposer une aide au logement (voucher) pour s'installer dans des quartiers qui comptent moins de 30 % de noirs. 2. Un grand nombre de familles bénéficiaires de ce programme sont revenues vivre dans leur quartier d'origine. 3. Programme qui commence en 1993 et qui devait se terminer en 2000, il bénéficie de six milliards de dollars fédéraux auxquels s'ajoutent douze milliards provenant d'autres sources. Il devait concerner 86 000 logements sociaux. Ce programme a ensuite été sanctuarisé en 2000 et a la particularité d'être « a-racial ». 4. Une ligne financière demolition only a facilité cette opération. L'objectif de 100 000 démolitions a été fi xé en 1996 puis a été largement dépassé. 5. « À défaut de faire entrer avec facilité les habitants du public housing dans l'univers périurbain, c'est son esprit que l'on a insufflé dans les quartiers » (page 39). 6. La règle du 1 pour 1 a même été suspendue en 1995 pour les sites qui concernent Hope VI (pages 46 à 47). 7. Cf. les travaux de Marie-Hélène Bacqué étrangement absents des références bibliographiques. William Le Goff