Note parue dans le
Numéro 106
écrite par William Le Goff
Thomas Kirszbaum - Rénovation urbaine, les leçons américaines
THOMAS KIRSZBAUM
Rénovation urbaine, les leçons américaines
Puf, Collection la Ville en débat, 2008, 96 pages.
À lire l'introduction de l'ouvrage Rénovation
urbaine, les leçons américaines, l'opposition
entre le ghetto noir et les banlieues
blanches serait fi nie selon Thomas Kirzsbaum.
Pour l'auteur, les États-Unis, depuis
quarante ans, ont mené les politiques de
déségrégation les plus radicales pour « en fi -
nir avec le ghetto noir qu'ils avaient mis tant
d'énergie à consolider » (page 4). À l'heure
où la France entreprend depuis 2004 un
Programme national de rénovation urbaine
(PNRU) qui bénéficie aux quartiers relégués
et dont le montant total des travaux s'élève à
42 milliards d'euros sur une période de dix
ans, le détour par l'expérience américaine
permet de questionner les stratégies ainsi
que les effets de la rénovation urbaine en
quartiers populaires. Ce court ouvrage de
96 pages propose ainsi d'examiner l'ambivalence
des stratégies de dispersion de la
pauvreté puis celles relevant de « l'enrichissement
sans déménagement » et enfin celles
correspondant à « l'attraction des classes
moyennes ». L'intérêt de ce court ouvrage
est de présenter la rénovation urbaine américaine
et son histoire à un large public français
qui en ignore bien souvent l'existence,
présentation qui se fait à l'aune de la rénovation
urbaine française dont l'action - et
les effets à venir ? - révèlent de troublantes
similitudes.
L'Urban Renewal, entre stratégies de
dispersion de la pauvreté et politiques de
développement communautaire
L'auteur commence ainsi son essai par
un exposé malheureusement confus sur la
politique urbaine américaine des années
1950 (pages 7 à 10), à savoir l'urban renewal
dont le sobriquet de negro removal renvoie
clairement aux effets de la loi sur le logement
de 1949 : la dispersion des minorités
de couleur dans l'ensemble de la ville s'est
effectuée au nom de la lutte contre l'habitat
insalubre. Cependant, la construction de
810 000 logements sociaux, en plein coeur
des ghettos noirs, censés accueillir les ménages
à reloger, a accentué la ségrégation
des minorités noires.
Afin de combattre les effets néfastes de
l'Urban Renewal des années 1950-60, le
Fair Housing Act de 1968, voté juste après
l'assassinat de Martin Luther King, visait à
encourager le fi nancement par le Department
of Housing and Urban Development
(Hud) de logements destinés aux minorités
en dehors des espaces de « concentration
ethnique ». L'administration Nixon mettra
fin au financement de ces logements bâtis
dans les espaces suburbains. En revanche,
la mobilité individuelle des minorités est
devenue par la suite la nouvelle priorité
du Gouvernement fédéral et des gouvernements
locaux comme en témoigne l'emblématique
programme Gautreaux mis en
oeuvre dans l'agglomération de Chicago1.
Cette expérimentation de la déconcentration
de la pauvreté et des noirs a été généralisée
par l'administration Clinton dans le
programme Moving To Opportunity2.
Les politiques d'« enrichissement sans
déménagement », autrement appelées de
« développement communautaire » préconisent
un traitement global - on dirait aussi
« intégré » - des quartiers en difficulté. Il
s'agit de traiter à la fois le bâti et la promotion
des habitants en concevant et en décidant
des politiques à partir des souhaits
des habitants (procédures bottom-up). Les
ressources des habitants et de leur quartier
sont utilisées pour aboutir au contrôle communautaire
du quartier. Dans ce contexte,
le financement public et privé en matière
de construction et de gestion de logements
est pris en charge par les fameuses Community
Development Corporations (CDC).
Mais quels sont les effets des politiques de
dispersion de la pauvreté et de développement
communautaire ? L'effet pervers de la
dispersion réside dans la déstabilisation des
quartiers en (ex)fi ltrant les populations les
plus dynamiques du quartier. Par ailleurs,
les évaluateurs du programme Gautreaux
constatent « les effets bénéfiques du déménagement,
tout en soulignant l'absence
d'impact sur l'emploi et les revenus et en
restant très prudents quant à l'extrapolation
des résultats observés » (page 26). Le développement
communautaire, quant à lui,
n'agit pas sur les logiques de la ségrégation
à l'échelle des agglomérations.
Nous regretterons que la première partie
de l'ouvrage qui compte vingt et une pages
soit si difficile à lire : l'absence de chronologie
clairement établie, des sous-titres peu
explicites pour le profane (« autoségrégation
ou disrimination ? »), des termes mal
définis concourent à rendre l'ensemble relativement
confus.
Hope VI, la rénovation urbaine américaine
La seconde partie de l'ouvrage, de loin la
plus intéressante, présente au lecteur français
le programme Housing Opportunities
for People Everywhere (Hope VI)3, présenté
comme une synthèse des avantages respectifs
des stratégies de mobilité résidentielle
et de développement communautaire qui
doit aboutir à la mixité sociale des quartiers.
L'innovation la plus spectaculaire
d'Hope VI est de faciliter la démolition de
logements sociaux4. En contrepartie, la production
de logements privés dans les sites
concernés par Hope VI visait à banaliser ces
quartiers. Cette volonté de produire de la
mixité socio-économique dans les quartiers
déshérités pour normaliser les comportements
de leurs habitants est adossé au New
Urbanism qui met en avant une forme de
déterminisme physique des comportements
sociaux5. Notons aussi une autre similarité
avec le PNRU français : à chaque logement
social démoli, un autre devait être reconstruit.
Cette règle n'a pas été respectée aux
États-Unis et a rendu plus difficile encore le
logement de populations fragiles6.
Les appréciations d'Hope VI sont très variées,
en fonction des sites mais aussi parce
que les données exhaustives sur le programme
n'existent pas. Si Hope VI participe à la
déconcentration de la pauvreté, les effets
sur les revenus et l'emploi des ménages
concernés sont nuls.
La troisième partie de l'ouvrage est consacrée
à la démarche dite « holistique » de la
rénovation urbaine et à la participation des
habitants dans le projet de rénovation, deux
dimensions prises au sérieux aux États-Unis
même si le décalage entre la rhétorique
officielle et les pratiques locales demeure
important.
Mélanges Notes de lecture 187
Un livre qui appelle à de vifs débats
techniques, scientifiques et politiques
L'intérêt de cet ouvrage est de présenter
et d'analyser, en quelques pages, les similitudes
de la rénovation urbaine américaine
et française en termes d'actions (principe
dit du « 1 pour 1 », c'est-à-dire une reconstruction
pour chaque démolition de logement
social, le pari de l'attraction des couches
moyennes en proposant des produits
logement variés, le pari sur la revalorisation
du foncier, celui sur la normalisation par
l'arrivée des couches moyennes etc.) et en
termes d'effets (rétrécissement de la taille
du parc public, difficultés à loger les « publics
difficiles », peu d'effets sur les revenus
et l'accès à l'emploi des ménages concernés
par la rénovation urbaine mais un intérêt
réel quoique limité du simple déménagement
pour certaines familles).
La conclusion, intitulée « Ce que nous
apprennent les États-Unis », a le mérite de
poser clairement les termes d'un nécessaire
débat mais les partis-pris de l'auteur sont
néanmoins sujets à vive discussion. En effet,
l'auteur affirme la pertinence scientifique
de qualifier de « ghetto » les « quartiers » de
nos grandes villes car l'usage du terme permet
de ne pas « occulter la dimension proprement
ethno-raciale de la ségrégation »
(page 74). À ce propos, nous remarquerons
aussi l'usage constant, et sans guillemets, du
terme « racial », ce qui laisse le lecteur perplexe.
Dans le meilleur des cas, si l'adjectif
est effectivement utilisé comme tel aux
États-Unis, transcrire n'est pas traduire.
Sur la forme, la lecture de l'ouvrage souffre
de l'absence d'une bibliographie placée
en fi n d'ouvrage, d'encadrés qui précisent
la chronologie ou le contenu de certaines
lois, ce qui rendrait plus aisée la lecture
d'un ouvrage dense. Quelques exemples de
sites de la rénovation urbaine américaine
sont cités au cours du livre, il manque néanmoins
une typologie des sites de la rénovation
urbaine.
En revanche, l'auteur souligne justement
« les vertus de l'engagement civique contre
le regard souvent misérabiliste souvent jeté
sur les quartiers (de) pauvres où dominerait
l'apathie » (page 76), vertus sollicitées par
un traitement holistique de la pauvreté urbaine.
Néanmoins, cette remarque demanderait
aussi à être nuancée en appelant des
travaux qui portent sur l'empowerment7 et
dont les conclusions sont quelque peu différentes.
William Le Goff
1. Alors que la construction de logements
sociaux dans les quartiers à majorité blanche
affrontait l'hostilité des « communes d'accueil
», 7 000 familles volontaires habitant un
logement social se sont vu proposer une aide
au logement (voucher) pour s'installer dans
des quartiers qui comptent moins de 30 % de
noirs.
2. Un grand nombre de familles bénéficiaires
de ce programme sont revenues vivre dans leur
quartier d'origine.
3. Programme qui commence en 1993 et qui
devait se terminer en 2000, il bénéficie de six
milliards de dollars fédéraux auxquels s'ajoutent
douze milliards provenant d'autres sources. Il
devait concerner 86 000 logements sociaux. Ce
programme a ensuite été sanctuarisé en 2000 et
a la particularité d'être « a-racial ».
4. Une ligne financière demolition only a facilité
cette opération. L'objectif de 100 000 démolitions
a été fi xé en 1996 puis a été largement
dépassé.
5. « À défaut de faire entrer avec facilité les
habitants du public housing dans l'univers
périurbain, c'est son esprit que l'on a insufflé
dans les quartiers » (page 39).
6. La règle du 1 pour 1 a même été suspendue
en 1995 pour les sites qui concernent Hope VI
(pages 46 à 47).
7. Cf. les travaux de Marie-Hélène Bacqué
étrangement absents des références bibliographiques.
William Le Goff