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Numéro 79 Septembre 1998

Sports en ville

Ce numéro, consacré aux sports dans la ville, avait été annoncé à la fin du numéro 70, Lieux culturels. La place prise par le sport dans la vie quotidienne des citadins et dans la programmation des espaces urbains méritait notre attention. Ce numéro ne donne qu'un aperçu des nombreuses recherches effectuées dans les départements spécialisés des universités et dans quelques autres centres. Il n'a pas l'ouverture internationale dont a fait montre le récent colloque sur le football, organisé par le Centre National de la Recherche Scientifique. Malgré ces limites, il témoigne de la multidimensionnalité du phénomène de société qu'est devenu le sport. L'analyse urbaine en rend compte, certes partiellement, mais dans toute sa diversité. L'espace urbain s'offre comme plan tout à la fois de coupe, de projection et de représentation d'un ensemble de manifestations que l'image médiatisée ne suffit pas à résumer. De même que la géométrie descriptive permet de figurer un objet physique, un monument, un paysage sur une feuille de papier, l'analyse urbaine, dans sa double dimension spatiale et politique, tente de rendre compte synthétiquement des objets sociaux contemporains. La transformation du Plan urbain en Plan urbanisme, construction, architecture, nouvel intitulé de l'éditeur des Annales de la Recherche urbaine, indique que ce compte-rendu se fait avec une visée opératoire autant que cognitive, bien que la définition de cette opérationnalité reste floue. Le sport est redevenu récemment l'objet de politiques publiques, et notamment d'une politique d'équipements, renouant avec son statut de l'antiquité. Apparu en France sous le régime de Vichy, comme la planification urbaine moderne, le souci de donner à tous les citoyens l'accès à un équipement sportif proche de leur domicile se concrétise seulement à partir de 1961 avec trois lois-programmes successives, des modèles-types, l'accolement du gymnase au collège d'enseignement secondaire et la mobilisation de l'administration de l'Education nationale (Marc Falcoz et Pierre Chifflet). Dès 1975 on observe dans ce domaine le même revirement que pour l'ensemble des équipements collectifs. Le discours reste celui de « l'ardente obligation » et de l'égalité de tous dans l'accès aux équipements ; la réalité devient celle du désengagement budgétaire de l'État et de la responsabilité croissante des collectivités locales. Celles-ci sont aujourd'hui propriétaires de 85 % des équipements sportifs. La décentralisation s'accompagne d'une remise en cause des modèles et d'une hésitation devant la diversité des demandes qui se font jour. Les Offices municipaux des sports, constitués par les associations affiliées aux grandes fédérations, poussent plutôt à multiplier les espaces propices à la compétition, mais les maires continuent de vouloir desservir toute la population (Jean-Pierre Augustin pour Bordeaux, Christine Dulac pour Grenoble). La couverture de l'ensemble des communes urbaines semble maintenant bien assurée, du moins en équipements standard, avec un plus dans les communes les plus anciennement urbanisées (Edmond Preteceille) et un plus grand foisonnement d'associations dans le périurbain (William Gasparini). Le souci des besoins spécifiques des minorités se fait jour, par la médiation des associations pour ne pas déroger au principe républicain, à la différence de la Grande-Bretagne où existe une représentation directe des minorités ethniques auprès de la municipalité (Lionel Arnaud). Cependant la mobilité motorisée caractéristique des grandes métropoles invite à s'interroger sur la pertinence d'une analyse par communes. L'agglomération, par la combinaison des offres communales spécialisées, s'impose comme territoire de référence des pratiques contemporaines. L'arraisonnement des sports par les médias ne concerne pas seulement leur transformation en spectacles télévisuels, pourvoyeurs de droits et donc d'argent pour les clubs, recruteurs de joueurs professionnels très sélectionnés et bien payés. Il fait partie des stratégies de communication des villes qui cherchent à rentabiliser les pressions des fédérations sportives. Il est partie intégrante des stratégies commerciales et industrielles des firmes de chaussures, de vêtements, d'équipements sportifs et audiovisuels qui font la mode caractéristique des grandes villes et le succès des sports de glisse (Eric Adamkiewicz). L'ensemble des espaces publics, aussi bien physiques que de représentation, se prêtent au sport, à ses jeux, à ses langages, plus encore aux États-Unis où le domaine sportif fait moins exception aux lois du marché (Antoine Haumont). Cette occupation de l'espace public par le sport se propose comme construction de fraternités et de solidarités diverses. Fraternités traditionnelles des joueurs professionnels ou plaisanteries bruyantes des supporters que réunit la communion avec une même équipe malgré les divisions sociales ou ethniques ; déviance marginale dans les expressions machistes et racistes des hooligans. Solidarité de base des adhérents d'associations sportives qui sont 12 millions en France aujourd'hui ; fraternités ou communautés construites au jour le jour hors les stades par des coureurs ou des joueurs qui créent leurs propres règles, cherchent d'abord à ce que tous puissent jouer, préfèrent le goût du jeu continué à la saveur passagère de la victoire (Jean-Charles Basson et Andy Smith ; Pascal Chantelat, Michel Fodimbi et Jean Camy). Certains clubs, nés dans des communes défavorisées comme Noisy-le- Sec, tissent même des liens entre les habitants, au-delà du stade, proposant le modèle des « grands frères » issus de l'immigration comme nouvelle ressource de l'éducation collective (Pascal Duret et Patrik Mignon). La société des stades, et ses annexes des terrains vagues et des trottoirs, ressemble à la société globale, avec les mêmes idéaux et les mêmes déconvenues, contre lesquelles il faut taper des poings ou de la balle, jouer, le plus longtemps possible. Les stades où l'on attend chacun son tour, où on vient à heure fixe, où l'espace et le temps sont limités ne suffisent plus à assouvir la passion du sport et son investissement dans de nouvelles relations sociales. Les espaces sportifs existants sont même plutôt mal conçus pour l'entrainement à la compétition tel qu'il se pratique aujourd'hui (cf. François Vigneau, Les espaces du sport, « Que saisje ? », 1998) Sur des terrains accolés aux établissements scolaires le paysage n'est guère intéressant. Alors on court sur route, presque sans normes, pour le plaisir (Anne- Marie Waser). On recherche des lieux ouverts, si possible proche d'espaces verts, des espaces libres et sans contrôle à l'entrée. Evidemment ce sont aussi des lieux non sûrs aux regards de la moderne sécurité ; la liberté actuelle de mouvement qu'on y observe peut être menacée par des volontés de rationalisation urbanistique, comme dans le quartier du grand Lac à Bordeaux, présenté par Jean- Pierre Augustin. Peut-on fabriquer des hauts lieux du sport complètement artificiels en y concentrant toutes les bonnes propriétés mises en oeuvre dans les multiples lieux du sport ? C'est ce que propose inlassablement Christian Pociello, dans une démarche de recherche pragmatique qui se heurte à d'autres expériences, plus commerciales, d'exploitation du filon sportif. Un coeur de friche industrielle transformé en ellipse rutilante, desservi par une offre exceptionnelle de transports en commun, médiatisé pendant quelques mois, peut-il devenir un de ces hauts lieux ? Les urbanistes du groupe Hippodamos, chargés de la rénovation de ce secteur urbain, en doutent. Le Stade de France peut-il se maintenir comme haut lieu médiatique permanent ? S'il était totalement professionnalisé, possédé par une entreprise de médias peut-être ; en tant qu'entreprise quasi publique cela reste à démontrer (Marie-Hélène Bacqué) Le sport allie le jeu et la performance, le jeu dans les règles qui ordonne la compétition et conduit à une victoire, mais aussi à des défaites ; le jeu avec la règle qui organise sur le terrain la fraternité présente du groupe. Les coureurs interrogés par Anne-Marie Waser, tous chevronnés, indiquent qu'ils ont tôt ou tard décroché de l'ascétisme qui avait procuré à certains gloire et argent. La promotion sociale de quelques-uns par le sport ne peut constituer l'objectif de tous les pratiquants. Certes dans cette mobilisation générale, chacun selon ses conditions et ses dispositions prend position dans le « champ », comme dirait Pierre Bourdieu. Mais le champ n'est plus partie prenante d'un même mouvement, hiérarchisable de bas en haut, il n'est plus appréhendable de façon simple par les collectivités locales, d'où le nécessaire effort de recherche dont nous rendons partiellement compte. On retrouve face au problème du sport en ville la question posée par les politiques de développement social urbain, question de « gouvernance urbaine » diraient les Anglo-Saxons. Les Offices municipaux des sports, constitués pendant la phase d'équipement de base pour représenter les disciplines sportives auprès des collectivités locales face à l'État, n'ont aucune compétence dans l'utilisation du sport comme medium d'une sociabilité de quartier ou d'agglomération. Le problème des jeunes, et d'autres catégories de la population émergeant à la pratique sportive, est moins d'obtenir de nouveaux équipements que de faire reconnaître leurs propres compétences d'organisation, et leurs propres modalités d'accès aux espaces existants. La dimension politique du sport en ville reste à explorer davantage. Anne Querrien et Pierre Lassave