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Yankel Fijalkow

  

Note parue dans le Numéro 106 écrite par Yankel Fijalkow
ELSBETH KALF, LUCIE LEMAITRE, Le logement insalubre et l’hygiénisation de la vie quotidienne, Paris (1830-1990)

ELSBETH KALF, LUCIE LEMAITRE, Le logement insalubre et l'hygiénisation de la vie quotidienne, Paris (1830-1990), L'Harmattan, coll. Habitat et Sociétés, 2008, 296 pages. L'injonction hygiéniste, soucieuse de ne pas répandre les épidémies par défaut d'attention individuelle au corps, diffère-t- elle fondamentalement de l'éco-responsabilité en vogue aujourd'hui, inquiète de la pérennité des grands équilibres naturels du monde ? La doctrine solidariste, affirmant la solidarité de fait de tous les êtres humains conduits à coexister n'a pas fi ni de faire parler d'elle. Là est l'actualité du livre d'Elsbeth Kalf, thèse enfi n publiée grâce aux efforts conjugués de Lucie Lemaître, de Gregory Busquet et de Nicole Haumont. L'ouvrage, qui traite du logement insalubre et de l'hygiénisation de la vie quotidienne, comporte une photo en couverture (dont l'auteur est rédacteur de la note) illustrant l'ordre domestique du taudis : linges et tapis à la fenêtre d'une façade décrépie. Voilà qui nous introduit dans la dynamique de fabrication des normes, non seulement, comme Elias nous l'a appris par l'engoncement des relations humaines et des manuels de savoir-vivre, mais aussi par la plainte librement ouverte par le législateur grâce à la loi de 1850 sur les logements insalubres. L'hygiénisme, apparaît comme d'autres auteurs l'ont montré, tel un mouvement social se présentant comme scientifique et proposant des solutions administratives. Il forme progressivement les résidants. Elsbeth Kalf expose le long processus historique qui conduit à l'émergence de la possibilité d'une plainte des habitants, notamment à la suite des visites à domiciles dans les immeubles et les logements par des personnes bien nées. Elle guide le lecteur dans les arcanes des commissions d'hygiène, animés par de savants enquêteurs-éducateurs, porteurs de leur foi en l'hygiénisation de la société. Plutôt que d'étudier, comme nous l'avons fait, les processus de territorialisation de l'hygiène publique et la formation des îlots insalubres, Elsbeth Kalf a préféré s'intéresser aux effets sur les habitants du savoir hygiéniste ainsi développé depuis le XIXe siècle. Ce choix, congruent avec l'hypothèse d'une hygiènisation de la société, la conduit à réaliser une exploitation statistique des plaintes déposées au service d'hygiène durant plus d'un siècle. Il lui permet de mesurer l'évolution des sensibilités sociales selon les différents quartiers, plus ou moins aisés, de la capitale. Cette dernière partie n'échappera pas à la griffe des méthodologues avertis : rien ne dit que les habitants des quartiers riches relèvent de cette catégorie sociale. De plus, le traitement statistique des thèmes court le risque d'éluder les rapports sociaux contenus dans le mécanisme de la plainte : obtenir un logement social, échapper à une rénovation sans relogement constituent autant de motifs valables que celui de faire intervenir la puissance publique dans un immeuble ou un logement privé. Mais les nombreuses citations de lettres nous garantissent de cet écueil : on y rencontre l'émergence du thème des odeurs, une certaine revendication du droit à la santé, la disparition des lettres collectives, les différenciations culturelles… Au-delà des résultats détaillés, ce livre montre que l'injonction de porter plainte pour insalubrité, tout en étant inégalement distribuée dans la société, interroge le rapport locatif, le rapport au voisinage et plus largement la capacité des habitants les plus modestes à porter leur cas sur la scène publique. Cette question est d'autant plus importante que nombre de dispositifs mis en oeuvre ces dernières années reposent sur la plainte, qu'il s'agisse des textes sur le logement décent ou sur la loi Dalo. Est-ce à dire que l'on n'envisage que ce seul moyen pour lutter contre l'insalubrité et le manque de logement ? Certes non, mais il convient de mesurer la place accordé à ce type de dispositif dans la panoplie des moyens des politiques publiques et de s'interroger sur sa signification. Avec le recul historique, l'ouvrage d'Elsbeth Kalf fournit de précieuses bases de réflexion sur la question de la plainte, qui sur un plan sociologique, engage la problématique de la reconnaissance des populations mal-logées tant pour leurs compétences spécifiques que pour leurs difficultés. Yankel Fijalkow