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Sommaire

Numéro 80/81 Décembre 1998

Gouvernances

En consacrant ce double numéro au thème de la gouvernance urbaine, en rassemblant des contributions issues d’horizons divers, nous avons cherché à transformer en catégorie analytique une notion qui semblait se présenter le plus souvent comme prescriptive. Nous avons voulu aussi donner à la fois la liberté et l’occasion de parler en termes de gouvernance à des chercheurs francophones qui ressentent ce vocable d’autant plus imposé par le monde anglo-saxon que sa terminaison lui donnerait une allure française. La gouvernance serait d’une inquiétante familiarité en ce qu’il serait difficile de la distinguer du gouvernement auquel elle s’apparente et de la gouvernementalité qu’elle assure : pourquoi insinuer un nouveau vocable entre ces deux termes qui règlent déjà les rapports entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux sur qui il s’exerce ? Y a-t-il une troisième face par rapport à laquelle le pouvoir pourrait s’envisager, un regard oblique qui viendrait l’enlacer, affirmer sa fonction de lien, au détriment sans doute de sa fonction de domination ? La couverture issue du travail d’Holger Trulzsch intitulé Le Mont des Oliviers donne une figuration concrète de ces liaisons multiples qui se tissent dans la mondialisation et recouvrent l’espace public de la rue jusqu’à remplacer, pour tout un chacun, la religion par laquelle les hommes faisaient un, grâce à l’humanité de leur dieu. La gouvernance, et plus encore sa mise au pluriel, marque le passage à une nouvelle société dans laquelle le commun se fabrique entre les hommes, à la fois entre tous les hommes et localement, sans que le recours à une transcendance ou à sa laïcisation dans l’État républicain puisse en désigner la figure. L’utopie n’est plus à la mode parce qu’elle ne peut plus faire écran, illusion devant la diversité des orientations éthiques, à la fois sociales et ethniques, présentes sur un même territoire, invitées à faire société. La question de la gouvernance surgit quand les frères ennemis n’ont plus la ressource de la fuite ou de la guerre pour résoudre leur conflit, quand la planète entière est enserrée de télécommunications qui intiment à chacun l’ordre de rester à sa place. La gouvernance se déploie sous le filet protecteur d’une stabilisation mondiale des frontières et des rapports de force à laquelle elle est priée de donner chair dans la multiplicité de ses accroches localisées, dans toutes les métropoles qui gouvernent des territoires donnés. Le principal échec à la gouvernance, ce sont les millions de réfugiés qui s’accumulent dans des camps, et à qui le caractère provisoire de leurs établissements ne confère pas la qualité d’urbains. Les migrants participent également de cette mise en échec de la gouvernance mondiale, ou de la multiplicité des gouvernances locales, d’un excès du monde sur ce qui tente de le circonvenir ; mais à la différence des réfugiés, ils s’intègrent au monde urbain aussi bien dans leur pays d’accueil que par les investissements de retour dans leur pays d’origine, et participent donc de la construction de nouvelles formes de citoyenneté, ouvertes aux événements qui viennent modifier au jour le jour les fondements d’une société. Cette question de la gouvernance urbaine a été souvent réduite à la recherche de mesures susceptibles de compenser la réduction des dépenses publiques consécutives à la restructuration des économies à partir des années 1970. Les atteintes croissantes à l’environnement, la raréfaction des ressources naturelles, l’autonomie nouvelle des pays pétroliers, la croissance rapide des nouveaux pays industrialisés, ont mis au second plan l’impératif d’une réduction des inégalités économiques et sociales comme condition d’une extension du marché des entreprises. La question devient plutôt de dégager en permanence une marge d’innovations susceptibles d’être solvabilisées par l’appétit de nouveauté des segments les plus porteurs de la société. On assiste à une nette reconversion de la cible principale de l’effort économique et même public. Ceci est pensé dans un premier temps à un niveau macro-économique ; mais si la régulation entre acteurs économiques doit rester nationale, elle ne peut guère passer que par l’impôt, ce qui semble a priori contraire à l’élargissement des marges de manoeuvre de ces acteurs. Très rapidement la restructuration est accompagnée d’un nouvel intérêt pour le local, qui s’exprime différemment en pays déjà relativement décentralisé comme la Grande- Bretagne, ou en pays fortement centralisé comme la France. Les volontés fortement redistributrices des élus locaux britanniques ont été tempérées par de nouvelles agences d’aménagement ou de gestion technique mises en place sous la houlette de l’État central ; dans le même temps la France s’est enfin lancée dans le processus de décentralisation des compétences de gestion administrative vers les instances politiques locales, dont la hiérarchie est respectée par un savant découpage des domaines d’intervention. Dans les débats actuels sur la gouvernance urbaine nous recueillons les fruits de cette histoire récente, et plus ancienne, de la manière dont l’État s’est constitué par rapport au territoire. Le débat sur l’intercommunalité – récemment rappelé par la publication du rapport officiel de Jean-Pierre Sueur, Demain la Ville (1998) – est en fait commun à l’ensemble des pays dont l’histoire urbaine déjà ancienne a vu le débordement des frontières communales par l’urbanisation, non pas selon une extension en tache d’huile, comme le disent trop rapidement démographes et géographes, mais avec la constitution de tissus socialement, foncièrement, architecturalement différents qui s’expriment à travers des représentations publiques, municipales notamment, elles-mêmes différentes. Dès lors, vouloir tout réduire au même, à la Ville, par la constitution d’un territoire unique, à gouvernement unifié, est-ce garantir l’égalité de traitement à l’ensemble des citadins ainsi rassemblés, ou au contraire rationaliser les différences et aggraver la spécialisation fonctionnelle des territoires au sein de l’agglomération ? Le problème de la gouvernance urbaine peut prendre alors l’allure d’une organisation de la résignation grâce à l’institution de partenariats, diton en Grande-Bretagne, ou d’une participation, dit-on dans les pays francophones, dont l’objet serait d’obtenir l’assentiment des populations locales aux opérations d’aménagement qu’elles vont subir, quitte à y pratiquer de légères amodiations pour donner droit à leurs revendications. Forme de négociation courante dans les relations de travail, d’autant plus facilement transférable dans les négociations urbaines que, sauf peut-être dans les grands ensembles, les leaders des habitants n’ont pas l’expérience de telles négociations, et n’ont donc pas pu forger de langage propre ni commun. Contrairement aux douces assonnances qu’elle entraîne, la notion de gouvernance urbaine rencontre directement le conflit social, qu’elle a pour mission de convertir en règles de bonne gestion, c’est-à-dire de gestion durable. La planification urbaine inscrivait la gestion des sols dans des durées quinquennales comme lA planification économique et sociale de l’époque ; sans le ressort de la dévolution des crédits nationaux aux villes de province, qui reste d’ailleurs de mise pour la politique de la Ville et dans les contrats État-Régions, cette segmentation du temps n’a plus lieu d’être. Le plan devient glissant, et se fait davantage référence qu’obligation. Lorsque le développement devient local, et ne résulte plus de décisions d’implantations centralisées, la recherche de partenaires pour le porter toujours plus loin devient la démarche principale ; cette construction du partenariat n’est pas le seul fait des élus, mais de toutes les puissances locales, et notamment des entreprises publiques, obligées de compenser par leur dynamisme les contraintes de leur statut. L’analyse des gouvernances locales pourrait alors être une sorte d’énumération fastidieuse de chacune des configurations de partenaires que les gouvernements municipaux se sont attachés à développer, configurations dans lesquelles on noterait plus d’entreprises ici, plus d’habitants là-bas, plus de professionnels ailleurs, plus de fonctionnaires ailleurs encore, ou plus de représentants des communautés étrangères. Cette vision à plat, ici et maintenant, des régimes d’alliances dans lesquels s’inscrivent les gouvernements urbains, ne rendrait pas compte cependant de la dynamique pragmatique en laquelle consiste l’instauration d’accords, processus dont le travail scientifique, au cas par cas, ne peut observer qu’un moment particulier. D’où la nécessité d’un patchwork pour rendre compte de ce moment de reconfiguration des gouvernements urbains. Lorsqu’une ville sort d’une division ethnique ou religieuse séculaire, qu’elle retrouve l’unité par la destruction d’un mur ou l’abolition d’un règlement qui empêchaient les uns et les autres de circuler de part et d’autre, quel que soit l’enthousiasme dominant, la matérialité de la césure reste tangible, la séparation a créé une inégalité qui doit être comblée en droit autant qu’en fait. La mise dans un marché commun des uns et des autres peut n’être que le parachèvement de l’inégalité, si celle-ci n’est pas combattue délibérément par une politique de discrimination positive, dans laquelle les désirs des moins dotés doivent pouvoir s’exprimer. La conception de l’espace public, de l’espace de délibération politique, doit contrevenir alors au principe d’égalité dans le souci de celui de justice. Et en même temps la construction d’un ordre local commun implique que la demande sociale se fasse dans la coprésence des uns et des autres, dans un apprentissage collectif de l’avenir aménageable ensemble. Nombreuses sont les scènes locales du monde contemporain passibles de semblable réflexion. Scott Bollens évoque ici celles de Johannesbourg et Belfast, Beyrouth et Jerusalem. Qu’est-ce qui permet de faire fond sur la tolérance plutôt que sur la séparation? Croire dans les promesses de la gouvernance paraît d’autant plus hasardeux, que cette notion, reprise d’un passé colonial, puis employée pour définir ce qui allait devenir la culture d’entreprise, l’ensemble des ritournelles et des gestuelles diffusées pour faire lien entre les membres d’une même organisation, a resurgi dans les rapports de la Banque mondiale comme injonction aux pays du Sud, confrontés à une gouvernementalité passablement chaotique. Annik Osmont ne croit pas qu’on puisse diffuser à tous les pays du monde un même mot d’ordre avec quelque chance de succès ; elle pense même que les réductions de sens, obligatoires alors, vident le mot d’ordre de son contenu, voire le renversent en son contraire ; la gouvernance deviendrait alors un risque pour les jeunes démocraties. Le souci d’une bonne gouvernance, d’une analyse d’ensemble de tous les partenaires concernés par un problème de gestion urbaine, et d’une implication directe de ces partenaires dans sa solution, est déjà directement observable en Afrique ; en Afrique Australe, il conduit à une privatisation des services urbains, qui n’est malheureusement viable que dans les quartiers où les habitants ont les moyens financiers d’en être les partenaires ; en Afrique de l’Ouest, il invite à réexaminer les modalités d’installation des grands marchés africains, en tenant compte des différences entre les commerçants intéressés, et des circuits divers d’approvisionnement et de desserte induits par le marché. Avec humour Thierry Paulais fait du marché au coeur de la ville le symbole même de son problème de gouvernance, tandis que Sylvy Jaglin nous prévient contre les conséquences négatives d’une délégation imprudente des services publics. La notion de gouvernance a été introduite au Brésil par les programmes internationaux initiés par la Banque mondiale et la Fondation Ford (programme GURI dirigé par Richard Stren) qui en font une réponse institutionnelle à la pauvreté, un complément social des programmes gouvernementaux d’ajustement structurel visant à juguler l’inflation. Le Parti des Travailleurs, qui participe à des coalitions majoritaires dans plusieurs grandes villes, n’emploie pas ce terme. Pourtant le « Budget participatif », qu’il tente d’instituer dans les municipalités où il est au pouvoir, nous semble correspondre davantage à ce que nous pouvons espérer en parlant de gouvernance que les démarches évoquées ci-dessus. Il s’agit en effet de rassembler l’ensemble de la population d’une ville dans un système de représentation parallèle à la représentation ordinaire pour l’amener à discuter des investissements à faire pour l’amélioration de la vie quotidienne. Comme le montre Rebecca Abers, même si le processus, particulièrement développé à Porto Alegre, n’inclut pas encore au même titre les habitants les plus pauvres, habitant leurs parcelles illégalement, il permet aux classes moyennes de connaître et de comprendre les besoins des milieux populaires et d’accepter qu’ils soient satisfaits en priorité. Dans un pays où la gestion corporatiste du territoire par des leaders distribuant des cadeaux à leur convenance sur les quartiers étaient de règle, le budget participatif se présente comme une quasi-révolution démocratique qu’analyse Anete Brito Leal Ivo à Salvador de Bahia, où le processus est moins avancé. En Argentine, les rapports de force politiques sont différents et la privatisation des services publics bat son plein. D’après Diana Mosovich Pont-Lezica la problématique de la gouvernance peut alors se lire en creux, dans les différences entre communes pour faire valoir les besoins des habitants, par des pétitions notamment. Vision que compléteraient les travaux, non présents dans ce numéro, de Marie-France Schapira sur Buenos Aires. La lecture de la politique urbaine par le bas, à partir des habitants, intéresse également Rob Atkinson, participant d’un partenariat local de Southampton où les règles semblent particulièrement démocratiques, et respectueuses de la nécessité d’expression des habitants. Pourtant l’analyse des décisions prises invite à se demander si l’apprentissage collectif qui est le principal enjeu de la gouvernance n’est pas notamment apprentissage du langage des dominants par les dominés, inculcation d’une impuissance à défendre les valeurs des milieux populaires dans ces instances nouvelles, où on n’a pas « les mots pour le dire ». Ne vaut-il pas mieux alors revenir avec Dominique Lorrain aux bonnes vieilles figures du pouvoir local – administration, gouvernement et régulation – et renvoyer aux vieilles lunes du management public ou privé la gouvernance et ses promesses fantômatiques? Nos collègues de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, Dominique Joye et Vincent Kaufmann, Jean Philippe Leresche, montrent que les grandes villes suisses ont toutes conscience d’être confrontées à des problèmes qui demandent de nouvelles démarches : les manifestations ne sont plus le fait de simples opposants mais celui de contre-experts que la procédure de référendum populaire ne suffit plus à endiguer ; et une pauvreté de plus en plus affirmée exige que les villes et l’ensemble des collectivités territoriales revoient les principaux mécanismes de solidarité. Mais en France nous semblons vouloir résister à la gouvernance, en limiter l’emprise, ce à quoi s’emploient Michel Grossetti et ses collègues, en bornant la pertinence de l’emploi du terme aux grandes métropoles pour en exempter les villes plus petites, dites passibles d’un modèle néorépublicain. Celui-ci serait marqué par une prééminence du Département dans l’ensemble des institutions mobilisées pour la reconversion économique des territoires en déclin, alors que dans les métropoles il ne jouerait qu’un rôle de second plan. Ala lecture on est pourtant frappé dans l’un et dans l’autre cas par la pluralité des partenaires appelés à travailler ensemble, même si l’institution coordinatrice diffère. Pluralisme et coordination côté gouvernance, hiérarchie et arbitrage de l’État côté république, les modalités différentes de construction du bien commun s’enchevêtrent dans des situations de transition. Ce caractère de transition, qui marque la société nationale et certains de ses territoires en particulier, disparaît parfois derrière des personnages charismatiques ou des solutions techniques qui, en occupant le devant de la scène, rendent invisibles le travail ordinaire de construction du présent. Ce sont par exemple les maires omniprésents comme à Montpellier ou Toulouse ; mais si les cas cités par Dominique Chevalier ne sont que ceux étudiés dans sa thèse, ils valent pour bien d’autres. C’est la rapide trajectoire au firmament lyonnais de Michel Noir qui n’a pu incarner dans le réel la volonté d’agglomération qu’il affirmait, et a été rattrapé par les moyens qu’il avait utilisés pour s’imposer ; Taoufik Ben Mabrouk, et d’autres politistes de Lyon, constatent que l’État continue de mobiliser les périphéries locales pour faire échec à la mise en place de la gouvernance lyonnaise, qu’il a déjà pourtant partiellement promue sous forme de communauté urbaine… La bonne santé de la dialectique centre-périphérie est également constatée par Jean-Marc Offner à travers son analyse de la décision de réaliser le tramway Saint-Denis-Bobigny. Satisfaire des revendications locales sans projet d’ensemble, dès lors que ces revendications sont celles d’un parti allié, peut tenir lieu de rationalité. Dans son analyse des politiques de l’environnement sur le littoral varois, Nathalie Hubler utilise la notion de gouvernance comme processus de décision faisant appel à une pluralité d’acteurs institutionnels, mais dont les plus établis d’entre eux laissent la main à ceux qu’on a appelés « les marginaux-sécants », pour mieux récupérer la mise, quitte à se jouer de la sensibilité écologiste. L’État, toujours en réforme, a-t-il trouvé la réponse à cette injustice à l’égard de l’environnement et à cette incapacité récurrente à produire de l’agglomération avec ses nouvelles procédures de planification ? C’est ce que suggèrent Gilles Jeannot et Fabienne Margail avec le « porter à connaissance stratégique », exercé par la Direction Départementale de l’Equipement des Bouches-du-Rhône sur le terrain de l’agglomération marseillaise. Un travail intensif de recueil de données statistiques et sociologiques est utilisé pour alimenter un débat public, inviter les partenaires concernés, et développer peu à peu un argumentaire convaincant et collectivement partagé quant à la nécessité de faire agglomération. Là, les services déconcentrés se heurtent du côté des élus à forte partie, tant les clivages politiques locaux sont également marqués et ancrés dans les clivages sociaux. Mais la gouvernance ne serait-elle pas justement, nous dit Touafik Souami, le type même de slogan dont les figures hantent nos villes et impuissant à combattre une exclusion sociale et ethnique que certains personnages politiques prônent ouvertement ? Dans un registre plus civil, Gilles Novarina nous invite à réfléchir sur les limites de la construction de la demande sociale dans les projets d’urbanisme : les procédures nécessaires à une décision rationnelle, respectueuses de la pluralité des points de vue, constructrices d’une démocratie locale, sont-elles bien mises en place dans les divers dispositifs de participation des habitants ? Poussant encore davantage dans le sens de la quête de sécurité, Alain Bourdin voit dans le sentiment d’appartenance la condition de la gouvernementalité. Si la nation, la famille, l’école ou le travail ne garantissent plus les affiliations communes, ne reviendrait-il pas alors aux grandes entreprises de services, publiques ou privées, d’offrir de nouveaux cadres de référence pratiques et utilitaires ? Vision provocatrice, pour dire que toutes les directions sont bonnes à prendre dans la recherche de nouvelles solidarités. En racontant l’organisation en avant-première d’une journée sans voitures à La Rochelle en 1997, Isaac Joseph et Anni Borzeix choisissent également le parti de la légèreté. Ne croyons pas que nous allons pouvoir organiser une gouvernance pure et dure, intangible, qui permettra aux citoyens de vivre dans la démocratie indéfiniment. La démocratie est au contraire événement, fête, irruption du plaisir et de l’égalité au quotidien. Evénement qui élève l’initiative locale au rang de projet universel : sauvegarder l’air de la planète. L’urbaniste avec ses plans peut-il quelque chose à la tolérance des hommes les uns envers les autres, à l’accueil continué par la ville de la diversité avec laquelle elle s’est de tout temps construite? Carlos Vainer, qui a été responsable de l’Association nationale pour la recherche et la planification urbaine et régionale au Brésil, réfute l’idéologie actuellement dominante dans notre milieu professionnel. La planification stratégique qui fonctionnalise la ville et l’ordonne au bénéfice de la promotion immobilière et du tourisme international ne peut que déplacer à la marge de la ville les espaces de tolérance qui devraient en occuper le centre. Ce n’est qu’en construisant l’espace pas à pas, modestement, avec tous les acteurs impliqués quels que soit leur âge, leur sexe, leur couleur de peau, leur profession, leur capacité apparente d’élocution, que l’urbanisme se réalisera et deviendra le metteur en scène de notre vie quotidienne. Pour Yves Chalas, le temps de l’utopie est terminé, la bonne ville ne sera jamais ailleurs mais ici, à condition de se limiter modestement à la construction au jour le jour de la démocratie comme démarche perpétuelle de recherche d’un bien commun, au risque d’ailleurs que certains imposent sans ménagement leur vision de ce bien. Loin de détailler les chaînes de domination qui nous enserrent, les articles rassemblés ici se veulent pour la plupart invitation à construire le quotidien dans la ville, ou au moins à méditer sur les possibilités d’une telle construction. À construire dans la recherche d’une gouvernance locale, c’est-à-dire d’une ouverture appliquée au site concret où nous sommes vers l’ensemble des partenaires de la gestion de la ville qui nous sont perceptibles. Déjà les recherches du Plan urbain sur la puissance publique dans le processus de production urbaine avaient montré qu’il convenait de déplacer le regard, et de prendre en compte les entreprises de services compétentes. Ces recherches avaient montré aussi que le public qui affirme sa puissance à travers l’édilité municipale ne se limite pas à ses représentants et à ses agents mais comprend l’ensemble des formes d’expression par lesquelles il exprime son opinion, du tag à l’association en passant par le message médiatique. Cette vision pragmatique de l’urbanisme comme cadre d’analyse et méthode d’action publique pour citoyen actif diffère sans doute des formes de gouvernance analysées par les spécialistes de sciences politiques ; elle a le mérite d’être commune à de nombreux chercheurs par-delà les langues et les communautés nationales de référence, ainsi qu’en témoigne, par exemple, la jeune European Association for Urban Research qui en a fait l’un de ses principaux thèmes de débat. Anne Querrien, Pierre Lassave