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Sommaire

Numéro 103 Juillet 2007

La ville dans la transition énergétique

Le projet de ce numéro, intitulé au départ « Ville et énergie », était de recueillir des contributions sur ce qu’on pourrait appeler une économie généralisée de l’énergie en ville. La croissance rapide de l’émission de gaz à effets de serre commence avec l’urbanisation et l’industrialisation de la fin du XIX siècle. Le problème du réchauffement climatique que nous devons aujourd’hui affronter découle des formes sociales et techniques, qui ont ouvert la possibilité pour tous d’imiter les inventions des pionniers, et de participer, plus ou moins, à la jouissance du bien-être et du confort. Le développement urbain fondé sur la voiture et l’électricité a organisé une homogénéité de genre de vie qu’aucune société n’avait connu par le passé. Mais à peine l’extension quasi complète atteinte dans les pays occidentaux développés, il a fallu déchanter. Cette expansion, dont la poursuite était indispensable à la stabilisation, ne pouvait pas continuer à l’échelle de la planète, dans l’autre partie de laquelle elle avait puisé les moyens de sa construction. On découvrait les limites de la croissance, et la nécessité de penser le développement en termes intensifs plutôt qu’extensifs, sur une base territoriale locale en même temps que mondiale (Sabine Barles, Benoit Duret et alii) Cette base territoriale locale fonctionne dans l’opinion publique comme une poupée gigogne, allant du monde, à l’Europe, à la région, au département, à la ville, et à moi, le cœur du dispositif, le consommateur final, l’usager, l’habitant, le sujet de la démocratie. Si tous les citoyens du monde se donnaient la main en faisant des économies d’énergie, en n’utilisant plus de pétrole pour se déplacer, en se chauffant et en se climatisant moins, en isolant leurs maisons par de la laine de verre et des triples fenêtres, la non-production de cette énergie économisée serait autant de gaz carbonique et autres gaz à effet de serre en moins, et autant d’engrangé contre le réchauffement climatique. La partie bâtiment de ce programme ne pose pas de problèmes techniques majeurs. Le retard tient à des difficultés de paiement, à ce qu’on appelle « la précarité énergétique » et à l’absence de maîtres d’ouvrage adéquats à la mise en place de cette nouvelle prestation, à une inertie sociale et économique face à l’impératif d’un « développement durable ». En revanche le renoncement au pétrole pour se déplacer se heurte au retard de l’arrivée de nouveaux carburants, alors que les constructeurs de voitures se disent prêts à sauter le pas et à s’offrir de nouveaux marchés. Encore faut-il que le conducteur accepte de changer sa voiture, ou que le parc de véhicules existants puisse être transformé. Les exhortations aux économies d’énergie s’adressent à des conducteurs-habitants en situation de changement, de mobilité, qui vont pouvoir dans leur nouvelle maison prendre toutes les mesures qui s’imposent. Deux tiers des ménages sont dans le même logement que cinq ans auparavant, et ne sont pas concernés par cette mobilité. Pour le nouveau propriétaire en immeuble, si des mesures sont indiquées par l’étiquette énergie qui depuis peu lui est délivrée, il ne va pas les prendre tout de suite, car il a d’abord son remboursement de prêt à payer, il verra plus tard, quand il va déménager. La publicité sur les économies d’énergie dans l’habitat, s’adresse d’abord à celui qui a la chance de vivre le rêve de chacun : la maison individuelle isolée, où il peut effectivement faire réaliser les prestations qu’il veut, s’il en a les moyens financiers. La maîtrise de l’énergie participe de la prescription pour la maison, et donc pour l’étalement urbain, puisque cette maison sur laquelle son propriétaire à tous les pouvoirs va se retrouver en diffus, en périphérie de grandes villes. Et cette maison participe de la poursuite de l’expansion urbaine, commencée à la fin du XIX siècle, grâce à la maîtrise de l’énergie, mais dans un autre sens du mot maîtrise : le transport de l’énergie à la maison par le fil électrique, la maîtrise industrielle de diverses formes d’énergie naturelle. Ce qui caractérise la vision urbaine de la question des rapports entre ville et énergie aujourd’hui, c’est le souci des acteurs sociaux et politiques intermédiaires. Le face à face entre la planète et le conducteur-habitant, même soutenu par des conseils, aidé par des prêts et des subventions, ne peut pas conduire à des initiatives rationnelles et efficaces en situations d’habitat collectives, urbaines, sans des donneurs d’ordre adéquats, des artisans formés, des financeurs de projets, sans une organisation sociale à laquelle la vie urbaine a donné ses références progressivement (Anne Grenier). La transition énergétique ne peut se mettre en place de façon visible et médiatisée, donner lieu à une mobilisation forte des citoyens, sans l’engagement des élus et en particulier du maire de la ville concernée. Et ce quel que soit le pays. Aux Etats-Unis de nombreux maires et dirigeants des états fédérés ont fait de leur plan-climat un atout en communication et un levier d’action, malgré le peu d’enthousiasme du gouvernement fédéral pour le programme de Kyoto.(Jacques Chevalier) La confiance est en effet essentielle en la matière, tant la connaissance ne semble pas stabilisée, tant la nécessité de confronter chaque mesure locale à ses conséquences globale rend l’appréciation de chaque situation incertaine. D’après les chercheurs, il n’y a qu’à l’échelle locale qu’on peut articuler toutes les dimensions à prendre en compte. En même temps ces petites mesures sont à inscrire dans un plan de long terme, pour contribuer à avoir vraiment réduit les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Certains modèles ou scénarios peuvent aider la décision ( Benoît Lefevre, Pierre-Noel Giraud ; Julien Allaire, Patrick Criqui). Les chiffres donnés par les éco-quartiers, pourtant susceptibles de mettre toutes les chances de leurs côtés, ne sont pas si optimistes. L’hypothèse d’autonomie locale, et de fortes diminutions des déplacements, sur laquelle se fonde le projet urbain de contribuer à la diminution des émissions de gaz à effet de serre, n’est pas vérifiée dans les faits. L’emploi, mais aussi la fréquentation de manifestations culturelles, ou le tourisme continuent de susciter des déplacements, qui ne peuvent pas être canalisés par des transports en commun lourds, aux tracés trop restreints. L’idée, avancée par Marie-Hélène Massot et Jean-Pierre Orfeuil, d’une relocalisation des logements auprès de lieux de travail développés sur les axes de transports lourds, se heurte à la non coïncidence des lieux de travail des deux membres du couple, par rapport à laquelle le choix d’un troisième lieu est souvent le meilleur. L’étalement urbain ne joue d’ailleurs pas que par rapport au lieu de travail : il concerne les lieux de formation, de sport, de santé. Les services de bus que développent les collectivités locales peuvent servir de véhicules de démonstration pour les énergies nouvelles ; ils ne remplaceront pas la desserte fine par la voiture particulière, d’où l’attente de nouveaux carburants. L’habitat s’est dédensifié en interne, comme en externe, dans l’espace urbain. 60% des logements ont quatre pièces et plus, et ce sont plutôt des maisons, alors que les 40% des logements qui ont trois pièces et moins sont plutôt des appartements. Et la nécessité d’économies d’énergies ne peut aller contre ce mouvement vers le confort, qui est d’ailleurs le ressort de l’économie ; d’où le recours aux énergies nouvelles. Le solaire est l’énergie nouvelle la plus connue, la plus visible, notamment dans les exemples d’éco-quartiers à l’étranger. Sa mise en place demande un certain soin, et pas de systématisme sous peine de relative inefficacité. Une des leçons de cet ensemble de recherches c’est que le travail sur l’énergie implique de se situer à l’immeuble, avec toutes ses caractéristiques concrètes, et qu’il faut jouer pour chaque opération d’un bouquet de techniques, pour s’adapter au mieux à chaque configuration. Cela pose des problèmes de coordination, car l’innovation technique s’est en général développée séparément, et les fournisseurs donc sont porteurs chacun de sa solution. L’architecture climatique redonne une place à l’intervention de l’architecte à petite échelle, celle de la maison ou de l’immeuble. D’autant que la recherche d’économies d’énergie est indissociable de la recherche de plus de confort, d’une rentabilisation en bien-être, plus encore qu’en argent. Isabelle Moussaoui montre que l’économie d’énergie ne relève pas d’une démarche sacrificielle, mais d’une économie au sens large, du maintien ou de l’augmentation du confort par d’autres moyens. Chez le consommateur, il s’agit d’une économie intelligente, qui va permettre de faire mieux ou autant en dépensant autant, de préférence à faire moins pour dépenser moins. Pas exactement la logique de la lutte contre l’effet de serre, mais une logique à prendre en compte dans les travaux d’amélioration. Une logique que les consommateurs vont être aidés à développer par les nouveaux compteurs qui décomptent la consommation en temps réel par télé-information. Cette information précise sur la consommation encourage évidemment les économies d’énergie, et ne peut être que bénéfique. La réflexion, menée sur l’exemple suédois par Frédérique Boucher Hedenström et Jonathan Rutherford, montre que ce n’est pas si sûr. Le compteur individuel désolidarise les consommations dans l’immeuble, et fait prendre conscience de la présence de locataires impécunieux qui augmentent les charges des autres. Un nouvel argument pour aller vivre individuellement dans une maison où on ne paiera que sa consommation à soi. Le recentrement sur soi, ses capacités, ses réalisations, est au principe de la maison, non seulement économe en énergie, mais alimentée par des énergies propres : géothermie, solaire, éolien, dont l’association Etudes foncières souligne le caractère très gourmand en espaces. Le retour à des éléments d’autoconstruction, la poursuite du bricolage dont les magasins se multiplient dans les périphéries urbaines, font évidemment partie pour les moins fortunés des plaisirs des économies d’énergie, même si économies d’argent, et d’énergie, ne sont pas toujours au rendez-vous. Nadine Roudil, Eric Lagandré soulignent les mesures prises par les artisans pour se faire désirer. Le désir d’autonomie, comme élément idéologique commun aux habitants et aux ingénieurs et architectes spécialisés, se manifeste également dans la conception d’éco-quartiers, qui sont prévus pour fonctionner comme des îles séparées des tissus urbains environnant, avec leur propre production d’énergie et leur propre assainissement, induisant leurs propres plantations. Cela fait des images assez belles, où l’eau joue un rôle central dans le quartier, pour éviter d’alourdir le travail de la station d’épuration existante. Mais l’image est aussi celle d’un tissu urbain peu dense, où le regroupement des maisons individuelles paraît presque arbitraire. La référence à l’éco-quartier urbain d’Hammerby à Stockholm garde cette dimension aquatique propre au site (Jean-Pierre Traisnel, Charles Raux). L’autonomie est aussi la principale qualité des entreprises locales d’électricité, restées en fonction après la nationalisation puis la libéralisation. Mais leurs marges de négociation semblent limitées, et la valeur de proximité, propre à leur action est portée également par d’autres fournisseurs, comme le souligne François-Mathieu Poupeau. L’autonomie est également revendiquée par les villes qui ont pris position sur ces questions en francs-tireurs pour animer une discussion nationale avec les Assises de l’énergie, ou pour soutenir les initiatives des habitants par des prêts, des subventions, des conseils techniques. Encore faut-il en avoir les moyens techniques et humains (Marie-Christine Zélem). L’autonomie est enfin au départ des la démarche européenne des organismes de logement social pour créer des sites expérimentaux tant dans le bâtiment existant que dans la construction neuve. L’autonomie est surtout la principale qualité demandée au consommateur que la libéralisation du marché de l’électricité confronte à la nécessité de choisir entre plusieurs fournisseurs, et peut-être par là entre plusieurs manières de fabriquer l’électricité. L’exemple suédois montre que cette activité du consommateur « actif » a beaucoup de mal à s’exercer et à suivre les cours de l’énergie. Comme le soulignent certains chercheurs, la charge mentale pour habiter, et les charges financières correspondantes, ne font qu’augmenter, avec les risques d’exclusion qui en découlent. La lutte contre la précarité énergétique fait aussi partie de la valeur ajoutée aux actions d’isolation et d’économie d’énergie. Mais s’agit-il de la précarité énergétique des habitants ou de la vétusté des logements ? (Isolde Devalière) Le consommateur, l’habitant, est-il vraiment le maître de la situation, en dehors de la maison individuelle en diffus, qui reste marginale, même si elle fait référence dans les informations sur la maîtrise de l’énergie ? Les exemples donnés par Taoufik Souami montrent bien que c’est au niveau de l’ilôt, du projet urbain, que les mesures vont se prendre en cas de renouvellement urbain, et peut-être exiger de nouvelles configurations de la maîtrise d’ouvrage pour intégrer l’apport des énergies nouvelles et le souci de rendement thermique. Dans l’existant la dispersion de la propriété, et la non substitution de l’intervention publique en cas de carence des propriétaires risque de laisser sans suite la suggestion de Mindjid Maizia, qui entend modéliser les travaux à faire grâce à la typomorphologie. Les exemples étrangers cités montrent que les municipalités les plus engagées dans le mouvement pour le climat ne le font pas en maîtres d’ouvrages sauf dans leurs propres bâtiments, mais en acteurs politiques, regroupant les autres partenaires, et favorisant la création de quartiers de démonstration d’une nouvelle qualité urbanistique, notamment pour la présence végétale (Cyria Emelianoff pour l’Europe et Jacques Chevalier pour les Etats-Unis). A une autre échelle, Londres essaie de se positionner comme le leader de l’économie de l’hydrogène, ce qui ne va pas sans incertitude sur sa capacité à le faire à son compte par rapport aux grandes entreprises mondiales ( Mike Hodson, Simon Marvin). Loin de l’idéologie de la décroissance, la transition énergétique, animée par de nombreuses villes dans le monde, se présente comme la possibilité de faire front face aux contraintes issues de l’épuisement des ressources fossiles et aux périls tenant au réchauffement climatique. Cette idéologie, aux réalisations, positives souvent, discutables parfois, tissée des valeurs de confort, d’autonomie, de proximité, de nature, a sans doute des effets d’exclusion que n’avait pas l’idéologie précédente du bien-être pour tous par l’électricité et la voiture. La dimension du bien-être pour tous n’en a tout de même pas disparu, comme en témoigne le souci de la précarité énergétique. Ce qui en a disparu, jusqu’à nouvel ordre, c’est la notion de réseau, la solidarité d’ensemble. Un réseau qu’on discerne cependant parfois derrière les appels aux économies d’énergie (Eric Pautard). Les réseaux qui faisaient le cœur de la recherche urbaine, ont été invisibilisés, enterrés. En leur mémoire, Thierry Paquot par la philosophie et la littérature, Elena Paroucheva par la scultpure, célèbrent la haute tension, l’énergie, abondante et industriellement maîtrisée, qui parcourt la ville. Une énergie que le label américain LeedTM préfère garder dans les bureaux parce que c’est plus productif (Jean Carassus) ! Pendant que la voiture cherche à s’affranchir encore davantage de la ville et même de la route, « le bâtiment à énergie positive » pourrait confirmer le réseau électrique dans son rôle de vecteur de solidarité. Anne Querrien, Marie-Flore Mattei.